Les mystères du moonshine de l’est !

Le célèbre « moonshine », popularisé par les récits et films sur la Prohibition aux Etats-Unis, a également son équivalent en Europe de l’Est ! Connu en Pologne et en Russie sous le nom de Samogon, ce terme désigne l’alcool « fait maison ».

La Prohibition, ce n’était pas qu’aux Etats-Unis !

La fabrication illégale d’alcool a toujours côtoyé la production industrielle, mais le phénomène se développe surtout pendant les périodes où la vodka est rationnée ou interdite. On appelle cette période : “moonshine”.

Prohibition en Russie et URSS

En Russie, la production et la vente de vodka est interdite une première fois en 1914 pour permettre la mobilisation des troupes à la veille de la première guerre mondiale. Des slogans tels que la « la sobriété permettra de chasser l’ennemi ! » sont utilisés pour encourager l’abstinence. Mais la décision fût difficile, quand on sait qu’en 1910 les taxations sur la seule marque Smirnoff contribuent au tiers du budget de l’armée rouge ! Cette première prohibition dure 4 ans jusqu’à la fin de la guerre.

Il faut attendre ensuite 1985 et l’arrivée au pouvoir de Michail Gorbatchov pour voir ressurgir des velléités de prohibition. Ce dernier entame une campagne de restrictions en grande pompe contre l’alcool : fermeture de distilleries, de magasins de vodkas, mise en place de tickets de rationnements pour les mariages et les enterrements… et destruction de vignobles à coup de bulldozers. Des plantations, souvent centenaires sont définitivement détruites en Crimée, Moldavie ou Géorgie.

Mais face aux interdits, la population se met à distiller chez elle, et le bilan est loin d’être positif. Le sucre, souvent utilisé pour la fabrication de vodka « maison » vient à manquer dans les magasins. Certains commerces sont amenés à interdire la vente d’eau de cologne ou autre parfums avant 13h. Le Samogon ainsi produit contient des substances nocives, et on en vient à dénombrer plus de 30 000 morts par an des suites d’intoxications à la vodka frelatée, amenant le gouvernement à faire marche arrière.

File d’attente devant un magasin de vodka en Pologne sous le communisme

Restrictions en Pologne

Chez les voisins polonais, la vodka n’est jamais totalement interdite mais souvent soumise à des restrictions. Les interdits portent majoritairement sur l’heure ou des événements particuliers en fonction des époques : interdiction de vendre avant 13h, les dimanches après 15h ou encore lors de la venue du Pape. Par ailleurs la production est nationalisée, le système d’Etat peine à produire suffisamment pour faire face à la demande. Certaines années, la vodka est même rationnée avec un système de tickets et les gens doivent mettre en commun leurs rations pour les fêtes.
En République populaire de Pologne la vodka est encore plus chère qu’avant la Seconde guerre mondiale. Elle fait même partie des plus chères d’Europe. Un salaire moyen représente l’équivalent de 30 bouteilles de vodka ! (-> lire l’histoire de vodka)

L’essor des vodkas artisanales pendant le moonshine

Interdire l’alcool en Europe de l’Est ? C’est à coup sûr encourager à défier l’autorité ! Les gens se remettent à produire eux-mêmes leur vodka. Fabriquer et consommer le Samogon est aussi vu comme un moyen de résister et de lutter contre le système, en évitant de reverser des taxes au gouvernement soviétique. La vodka n’était pas uniquement un symbole mais devenait aussi une monnaie pendant les périodes de difficultés économiques (en temps de guerre par exemple). Il n’était pas rare d’amener un « demi litre » de vodka ou de samogon lorsqu’on allait voir un médecin, un avocat, un notaire ou tout autre apparatchik de la bureaucratie soviétique : on mettait ainsi toutes les chances de son côté pour que la demande avec laquelle on venait soit examinée avec soin et diligence.

La recette de “Grunwald”

La production de vodka commence en ville, dans les appartements privés, et même chez les fonctionnaires du parti ! Le samogon étant devenu une alternative stable à la monnaie locale, soumise à une terrible inflation… tout le monde se met à en « miner » chez lui ! (pour reprendre un terme d’actualités :p). D’autant qu’il faut très peu pour en fabriquer : quelques bidons, tuyaux et casseroles suffisent… et une grande quantité de sucre ! En Pologne, la recette du Bimber se retient grâce à la « bataille de Grunwald », qui a eu lieu en 1410 et dont chaque écolier connaît la date : 1KG de sucre, 4dg de lévures, et 10L d’eau. Le tout est laissé à fermenter, puis patiemment distillé ! (-> pour en apprendre plus sur la distillation de la vodka)

Installation de distillation à domicile – Crédits photos Grażyna Rukowska

En Pologne, environ 30% de l’alcool consommé provient d’une fabrication illégale dans les années 80. La région de Bialowieza tout à l’est, avec ses hectares de forêt vierge, devient l’épicentre de la production illégale de Samogon. L’immense forêt est un lieu propice pour produire discrètement. Les descentes de douanes se multiplient, mais ceux-ci ne confisquent curieusement que l’alcool produit… et jamais le matériel de production ! Les temps sont durs pour tout le monde, et le samogon se revend très bien.


Bouteille de Samogon illégal “Duch Puszczy” qu’on retrouve fréquemment à l’Est. L’étiquette rappelle celle d’une célébre marque de whisky 😉

Les vodkas artisanales aujourd’hui


Aujourd’hui encore, la tradition du Samogon perdure dans la région et on le retrouve sous une multitude de noms : gorzala, clair de lune (moonshine), eau de pluie, fantôme de la fôret et bien sûr bimber. On peut encore trouver des productions illégales, mais des petits distillateurs en Pologne et en Biélorussie reprennent depuis peu les recettes des “Samogon” de l’époque communiste pour les commercialiser légalement.

Si vous êtes curieux, n’hésitez pas à venir goûter notre samogon en magasin qui lui est bien légal ! 😉

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